Inégalités numériques : une réalité bien visible ici comme ailleurs
À l’occasion de la Journée mondiale des télécommunications et de la société de l’information, qui a eu lieu ce 17 mai, nous nous sommes entretenus avec Stéphane Couture, professeur au Département de communication de l’UdeM, sur la question des enjeux actuels des télécommunications dans le monde.
Dans le cadre de ses recherches en communication, Stéphane Couture a développé des intérêts de recherche variés, allant des logiciels libres, à l’activisme numérique ainsi qu’aux infrastructures alternatives. Les inégalités numériques associées aux télécommunications constituent l’un de ses sujets de recherche, qu’il explore depuis plusieurs années.
Fracture numérique ? Mais encore :
Ce que nous appelons communément « fracture numérique », plus par convention que par conviction, est de plus en plus qualifié par la communauté de recherche par le concept d’inégalité numérique, ce qui permet d’aborder le phénomène selon plusieurs dimensions que la seule idée d’une « cassure » physique.
Ces inégalités numériques se traduisent à plusieurs niveaux dans le monde. Loin d’être des phénomènes nouveaux, bien que très actuels, les disparités sont autant de calques d’inégalités déjà fortement implantées.
Il existe des niveaux d’accès à une connexion internet inégaux entre les différents pays du monde, mais pas que. En effet, Stéphane Couture remarque qu'on « n’a pas besoin d’aller très loin à l’extérieur de Montréal pour avoir des endroits où il n’y a pas d’accès internet à haute vitesse encore. »
L’aspect physique des inégalités, dit de premier niveau, se retrouve dans l’accès même aux technologies, que ce soit à des ordinateurs portables ou à une connexion suffisamment efficace.
La pandémie actuelle a par ailleurs servi à rendre perceptibles des considérations anciennes d’inégalités. Le domaine de l’enseignement en particulier s’est vu directement touché par les inégalités numériques physiques. Les étudiants et étudiantes ont dû, presque du jour au lendemain, trouver d’autres moyens de s’instruire. Certains ont sollicité l’aide de l’Université afin de pouvoir continuer leur éducation, notamment en empruntant des ordinateurs, ou en se rendant sur le campus lorsque cela était encore possible.
D’un autre côté, l’aspect social, de deuxième niveau, concerne plutôt des questions linguistiques et culturelles. Au Québec par exemple, même si les étudiants et étudiantes peuvent avoir accès à des bases de données diverses et variées, la grande majorité de la documentation scientifique disponible est en anglais, ce qui n’est pas toujours une évidence. Au-delà des frontières, l’accès aux revues scientifiques est loin d’être banalisé dans certaines régions du monde, où le contenu scientifique reste très limité.
Les logiciels libres, possible solution :
Bien que nous en utilisions constamment, peu savent réellement ce que sont les logiciels libres. Un logiciel libre peut être utilisé sans limitation par la personne à qui il a été distribué, nous explique Stéphane Couture. En somme, n’importe qui ayant les compétences peut créer un logiciel sous cette forme.
Les logiciels libres véhiculent des valeurs sociales et deviennent même des forces politiques offrant des possibilités alternatives d’interconnexion. Des initiatives ont récemment été prises afin qu’ils servent à favoriser les communications dans des milieux peu ou mal desservis.
Les pays peuvent collectivement s’approprier ces logiciels pour des usages nationaux. À titre d’exemple, le Brésil, passé un certain temps, était un chef de file en la matière. Dans l’état mexicain de Oaxaca, des villages ont créé leur propre réseau mobile, ayant été oubliés des grandes sociétés de télécommunications. Les habitants ont eux-mêmes décidé de pallier ce manque et contrer les inégalités numériques dans la région. Il existe également des réseaux sociaux ne nécessitant pas de connexion internet, qui fonctionnent sensiblement comme des courriels.
Les logiciels libres sont donc autant de solutions possibles aux inégalités numériques, même s’ils ne constituent pas pour autant des miracles, selon Stéphane Couture. Certes efficaces, les expériences en logiciels libres ont parfois déçu dans le passé, tantôt pour cause de défaillance matérielle ou logicielle, tantôt pour cause de changement de politique ou de gouvernement. Les logiciels libres ne sont donc pas encore réellement intégrés dans le paysage informatique courant.
Et maintenant ?
Stéphane Couture nous a fait part de son souhait que les universités puissent contribuer à répondre à ces inégalités et remédier à cet écart, en proposant que les populations étudiantes d’universités ne disposant pas de moyens extensifs, aient accès à des collections et revues étoffées. C’est le principe du libre accès. Les chercheurs et les chercheuses ne devraient pas se restreindre au faible accès aux revues scientifiques, sans quoi les pays à ressources limitées sont voués à une implication universitaire et internationale moindre.
Il s’agirait enfin, selon Stéphane Couture, que les grandes universités disposant de ces moyens les partagent avec celles en ayant moins. Cela pourrait également permettre aux chercheurs et chercheuses francophones d’ici et d’ailleurs de participer à cet échange de connaissances et de faciliter les concertations, en particulier autour de sujets clés comme la fracture numérique et la gouvernance d’Internet.
Stéphane Couture affirme qu’il existe bel et bien des solutions aux problèmes d’inégalités numériques. Il est cependant important de rendre compte de leur efficacité sur le long terme, celles-ci étant profondément enracinées dans des logiques géopolitiques et sociales plus anciennes.